Cent mille milliards de cellules, 206 os, 10 systèmes majeurs, 639 muscles, 100 000 milliards de bactéries, 5 litres de sang, un cœur qui bat en moyenne 3 milliards de fois au cours d’une vie, 14 milliards de neurones, 400m2 de surface d’échange dans les intestins… les chiffres hallucinants du corps humain nous rappellent à quel point il est unique et magique. 

Ses capacités d’adaptation sont phénoménales et pourtant nous finissons par en apercevoir les limites après plusieurs années d’une vie sans peu d’égards envers lui. 

Or les besoins fondamentaux de notre corps (physique) sont simples : manger, boire, bouger, respirer, éliminer, se reposer, faire l’amour.

La précarité et l’urgence poussent certain.e.s d’entre nous à ne plus pouvoir y répondre. 

Mais même dans le confort d’un appartement avec de quoi subvenir à ses besoins, qui priorise le rythme de son sommeil et ses besoins de repos ? 

Qui prend le temps d’une activité physique nécessaire à son bon fonctionnement ? 

Qui distingue la faim émotionnelle de la faim physiologique ? 

Qui se retient au lieu d’aller aux toilettes ?

Etc…

La liste est longue de nos petits ou grands manques d’égard envers nous-même mais au final la base d’une hygiène de vie respectueuse de nos besoins physiologiques fondamentaux revient à une somme de petits choix quotidiens qui mis bout à bout font toute la différence.

Notre corps est notre maison. 

Notre corps respire, transpire, exulte, souffre, se relâche, vibre… il a son langage. 

Notre corps nous dit à chaque instant comment nous allons. 

Chercher à sentir mieux permet de mieux se sentir.

Cette semaine nous révisons nos classiques et je vous offre une piqûre de rappel des principaux signes d’un corps physique aux abois, en faisant un petit détour par la philosophie.

Le Monde titrait récemment : Paul B. Preciado « Cette crise du Covid-19 a inventé un nouveau corps ».

La dimension sociale et politique du corps révèle que l’usage de notre corps physique est encadré par des normes. Si la société dans laquelle nous vivons n’a que peu d’égards pour les besoins physiques des individus, il y a peu de chance que ses membres puissent s’en émanciper. Ainsi s’il est suggéré de se retenir, un enfant apprendra à ne pas aller aux toilettes selon ses besoins ; si la norme glorifie un corps idéalisé, il sera difficile d’aimer nos imperfections. Simple.

Paul B. Preciado est philosophe et essayiste, il se questionne sur « la manière dont la pandémie change notre rapport au corps, la disparition progressive de la peau dans l’espace public … ». Il faut dire qu’il en connaît un rayon sur la dimension sociale et politique du corps puisqu’il a traversé l’expérience d’une femme devenue homme. 

Dans sa chronique dans Libération, il a écrit un plaidoyer pour le corps vrai dont voici un extrait : 

« Nous aimons le corps malade. Nous aimons les cicatrices et les morsures laissées sur la peau par les blessures. Nous aimons le vieux corps, marqué par le temps, ridé par le soleil, plein de souvenirs. Nous aimons le corps lent. Nous aimons l’imperfection et le déséquilibre, la lèvre ouverte, l’œil qui voit à peine, la main qui a du mal à saisir l’objet, le pénis flasque, la jambe qui est plus courte que l’autre, la colonne vertébrale qui ne peut pas se redresser. Nous aimons le vrai corps, fragile et vulnérable, et non le corps idéal et tyrannique de la norme (…). Nous ne savons presque rien sur le corps vivant. Il faut donc l’aimer là où il s’exprime : dans sa fragilité tremblante. »

Paul B. Préciado

Un petit moment nu.e face à son miroir s’impose (?) pour embrasser notre belle singularité et dire merci à notre corps toujours hors norme. 

BOUGER

On peut lire partout qu’il faudrait faire 30mn d’exercices physiques par jour ; mais avez-vous mesurer le temps que vous passez assis.e ou allongé.e ? Il paraît que pour les Français.es cela représente 7h30 en moyenne, auquel on peut ajouter les 8h de sommeil … et là je crois qu’on court le risque d’être affublé de l’adjectif « sédentaire ». 

Je me souviens du jour où mon prof de physiologie nous expliquait que sous la pression du poids du corps sur l’assise, une partie des cellules de notre postérieur finissait par mourir d’asphyxie ! On peut même lire que « rester longtemps assis serait aussi nocif que le tabagisme » … pour d’autres raisons je l’admets.

Il en va d’ailleurs de même du cartilage qui a besoin de mouvement pour être oxygéné, sinon il dégénère. 

Il existe aussi ce que l’on appelle le retour veineux : la pression sous notre pied durant la marche permet au sang de remonter le long de nos jambes. 

La marche stimule aussi tous les organes du système digestif en les massant et favorise une bonne digestion et une bonne élimination.

« Les seules pensées valables viennent en marchant » écrivait Nietzsche !

Bref, tout dans notre corps a besoin de mouvement : bouger est un besoin fon-da-men-tal de notre organisme. 

Y répondre ne nécessite pas nécessairement de prendre un abonnement à une salle de gym, mais de trouver le premier plus petit pas possible qui nous mettra en mouvement : le fameux « monter les escaliers plutôt que prendre l’ascenseur » ou encore « prendre le vélo plutôt que le bus ou le métro » ; plus original, faire une réunion debout plutôt qu’assis, voire en mouvement !

Intégrer le mouvement dans notre vie fait aussi partie d’un processus global. Le mouvement c’est l’essence de la vie, son impermanence, l’attraction entre deux pôles opposés, le changement, l’accueil de nouvelles idées, de nouveaux ami.e.s, de nouvelles habitudes, sortir de sa zone de confort… le mouvement est une hygiène de vie à tous les niveaux. 

MANGER 

L’alimentation est si fondamentalement lié à nos émotions et à notre histoire qu’elle déchaîne les passions. Mais si on isole pour un instant sa dimension proprement physiologique on est surpris par ce constat : nous mangeons à l’excès et sommes carencés ! 

Une diététique dépassée calculait fût un temps les besoins nutritionnels du corps en calorie. Mais si notre corps a besoin de sources d’énergie (lipides, glucides, protéines), il a aussi besoin d’une multitude de micro nutriments (vitamines, minéraux, oligo-élèments…).

Plus inattendu, nous devons aussi nourrir convenablement les milliards de bactéries, levures, champignons.. vivant dans nos intestins pour digérer et assimiler convenablement.

Privilégier la qualité (densité nutritionnelle) d’un aliment à la quantité tombe donc sous le sens.

Manger détendu aussi : le stress détourne littéralement le flux sanguin du système digestif et nous assure une mauvaise digestion. 

Chaque individu a cependant une activité différente, un métabolisme différent, une flore intestinale différente, un âge différent et donc des besoins nutritionnels singuliers. Il n’existe donc pas de régime alimentaire universel.

Il existe cependant une manière de s’alimenter selon nos besoins : écouter son corps.

C’est assez « simple » : le plaisir gustatif décroit à mesure que nos besoins pour les nutriments apportés par un aliment (non dénaturé) sont couverts.

Suivre notre plaisir gustatif (ne pas confondre avec le plaisir de remplissage) nécessite d’être présent à ce qu’on mange en d’autres termes de manger en conscience. 

Prenez l’aliment qui vous fait craquer et organisez une petite séance de dégustation. 

1. Touchez, sentez, regardez l’aliment convoité 

2. découvrez sa texture en bouche

3. mastiquez longuement, suivez l’évolution de ses saveurs. 

Et je vous mets au défi de finir la tablette de chocolat sans être écœuré.e 

RESPIRER 

Si nous naissons avec un souffle et mourrons après le dernier, nous portons peu souvent aux quelques 750 millions de respirations intermédiaires. Comprendre les grandes lignes de son fonctionnement permet de découvrir son incroyable puissance au service de notre santé.

La respiration comprend 3 temps :

1. la ventilation : l’air entrant passe par le nez, le long du larynx, de la trachée pour atteindre les bronches, les bronchioles 

2. la respiration externe : échanges gazeux entre les alvéoles et le sang

3. la respiration interne : échanges gazeux entre le sang et les cellules

D’un point de vue anatomique deux focus me semblent importants : 

Le nez

La respiration physiologique (involontaire et naturelle) s’effectue par le nez, il joue le rôle de filtre (les poussières, particules, virus et bactéries), humidifie, réchauffe l’air inhalé, et réduit ainsi le risque d’infections. 

L’inspiration par la bouche est quant à elle normalement réservée à l’effort quand il est difficile de respirer par le nez. La respiration buccale peut perturber le sommeil, augmente l’exposition des poumons aux risques pathogènes, engendre des complications chez l’enfant.

Un nez bouché est donc souvent signe d’une respiration qui n’est pas optimale. Il est important d’avoir les voies nasales dégagées. 

Le diaphragme

Le cœur et le diaphragme sont les deux seuls muscles de notre corps qui ne se reposent jamais. Au repos, 70-80% de l’activité musculaire à l’inhalation devrait être effectuée par votre diaphragme. 

Le stress limite le mouvement du diaphragme et génère une respiration superficielle : l’air inhalé se retrouve très haut dans la poitrine et ne fournit pas un échange de gaz efficace. L’air plus bas dans les poumons devient confiné et putride, car il est piégé par manque de circulation.

Un diaphragme bloqué engendre une sensation de nœud au plexus solaire, une boule dans la gorge, des contractions dans le dos.

SE REPOSER 

Le sommeil est devenu une variable d’ajustement pour nos vies d’infatigables travailleurs stressés. Les signes du manque de repos (de la fatigue donc) sont pourtant clairs : nuits agitées, réveils difficiles, coups de pompes, irritabilité, manque de concentration, baisse de libido, fringales, douleurs, pépins de santé à répétition… 

En France, la moyenne est de 7h05 de sommeil en semaine et 8h11 le week-end. Une différence notable, mais pourquoi ne respectons-nous pas notre besoin de repos ?

Le besoin de se recharger dans notre culture est suspicieux. On devient vite un vrai fainéant ! Il faut donc faire preuve de résistance pour s’autoriser une petite pause sans avoir peur du regard de l’Autre.  

Homère écrivait « Le sommeil est le frère jumeau de la mort ». Cette citation en dit aussi long sur l’angoisse que peut procurer ce moment de la journée. Il y a pour certains d’entre nous une difficulté à vivre l’obscurité et la vulnérabilité associées au sommeil.

Enfin, le moment du repos est propice à voir ressurgir tout ce que nous essayons parfois d’éviter durant la journée : émotions, pensées, intimité, silence, espace… Nous sommes si occupés à remplir nos agendas qu’un instant pour ne rien faire, un instant pour nous simplement devient source d’angoisse. 

Le fait est qu’aucun être humain ne peut supplanter les lois de la biologie : le repos et le sommeil sont des besoins vitaux (réorganisation des connexions neuronales, sécrétions hormonales, régénération cellulaire, mémorisation etc). La récupération est in-dis-pen-sable. 

Par ailleurs chaque individu n’a pas le même besoin de sommeil. Ce besoin est défini par plusieurs facteurs tel que les rythmes de vie, l’âge, les personnalités, l’environnement… 

Nous ne sommes donc pas égaux face au sommeil mais il tient à chacun.e d’entre nous de répondre à notre besoin de repos par le sommeil, la sieste et les pauses de toute nature.

J’ECOUTE MON CORPS 

J’espère que cela vous aura convaincu de l’intérêt d’un retour à nos 5 sens pour trouver des réponses aux questions quotidiennes qui jettent les bases de notre hygiène de vie.

Ce retour au corps est donc un retour au sensible. 

Le corps chuchote, parle, crie il faut réapprendre à lire son langage tantôt plaisant, tantôt difficile à supporter. Le fait est qu’à chaque sensation, émotion, pensée, réaction… notre corps nous fait passer une information pour que nous nous adaptions au mieux aux changements perpétuels de notre environnement. 

Ses messages sont importants si bien qu’il les répète de plus en plus fort si besoin, de manière à être entendu. 

Il existe de multiples techniques pour ré apprendre ce lien essentiel avec notre expérience physique mais elles ne sont pas nécessaires. Nous avons tou.te.s cette capacité innée en nous. 

Pour pouvoir l’utiliser il faut changer de paradigme et passer d’une vision où « j’aimerais ne plus rien sentir pour aller mieux » à une vision où « je remercie mon corps pour la guidance qu’il m’offre au quotidien ». 

C’est une expérience qui est d’abord inconfortable car elle implique de questionner notre rapport aux médicaments que nous prenons pour ne plus sentir, toutes les stratégies d’évitements que nous mettons en place pour ne plus ressentir. 

Alors étape par étape, on peut entamer un travail de reconquête de notre sensibilité, mettre en place des stratégies d’auto observation par exemple, faire de plus en plus de place au silence et refaire confiance à ce savoir intuitif qu’est notre corps. 

C’est une invitation pas une injonction. 

Il serait dommage qu’elle vienne alourdir notre charge mentale peu propice à créer un espace d’écoute de nos besoins. 

C’est une invitation à la douceur envers soi-même et à l’acceptation de tous les possibles de notre expérience physique.

L’expérience d’une vie incarnée en somme.

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